On poursuit les interviews d’auteurs,
cette fois ci, avec Elizabeth Ebory, autrice du roman « la fée, la pie et
le printemps », publié chez ActuSf en août 2017.
En Angleterre, les légendes ont été mises sous clé depuis longtemps. La fée Rêvage complote pour détruire cette prison et retrouver son pouvoir sur l’humanité. Elle a même glissé un changeling dans le berceau de la reine...Mais Philomène, voleuse aux doigts de fée, croise sa route. Philomène fait main basse sur une terrible monture, des encres magiques, un chaudron d’or et même cette drôle de clé qui change de forme sans arrêt. Tant pis si les malédictions se collent à elle comme son ombre... Philomène est davantage préoccupée par ses nouveaux compagnons parmi lesquels un assassin repenti et le pire cuisinier du pays. Tous marchent vers Londres avec, en poche, le ecret le plus précieux du royaume.Des personnages empreints d’une légèreté désespérée, une aventure aussi féerique que profondément humaine. Élisabeth Ebory renoue avec le merveilleux des anciens récits, sans nier leur part d’obscurité.
Bonjour Elizabeth, je suis ravie de
t’accueillir sur mon blog ! Auparavant autrice de nouvelles, comment se
passe la transition entre ce format court à celui de roman ?
Merci à toi pour
l’invitation !
Alors, la transition format
court / format long, j’ai envie de dire… houlala !
J’avais pris mes habitudes :
j’écrivais des textes en 15 000 ou 30 000 signes. C’était devenu un rythme.
Qu’il a fallu casser. En plus de cet
aspect « longueur », un roman
n’est pas qu’une « grosse nouvelle ». La tension d’un récit court ne
pourra pas se retrouver dans 300 pages… L’histoire demande plus de
développement qu’une seule scène, aussi épique soit-elle. La notion de scénario
prend une toute autre envergure ! Il y a l’enchaînement global des
péripéties bien sûr, mais aussi une multitude de détails à gérer – détails que
la forme courte ignore la plupart du temps, chaque chose y étant cruciale.
Chez moi, il y avait
également la question du style. Je suis sensible à la poésie sous toutes ses
formes, et cela se ressent beaucoup dans ma façon d’écrire mes textes courts.
Cependant, pour un texte long, il est plus délicat d’être poétique en
permanence. A force, l’intrigue se noie, les enjeux se diluent, etc. Il a donc
fallu évoluer et trouver une autre respiration.
Enfin : l’ambiance. Sur
10 pages, j’étais capable de supporter un univers noyé dans une nuit sans fin
avec une mince lueur d’espoir. Sur 400 pages, euh… non. Donc j’ai aussi amorcé
un gros virage sur les couleurs de mes mots, en essayant de leur donner plus de
lumière et de bonne humeur. Sans pour autant abandonner complètement les
ténèbres…
Bref au final, je crois qu’il
a fallu tout changer !
Dans « la fée, la pie et le
printemps », titre d’ailleurs très intriguant et qui prend son sens
uniquement à la lecture du roman, tu abordes le thème des fées, et ta vision de
cet univers est différente des plus populaires. Peux-tu nous présenter tes deux
personnages principaux, Rêvage et Philomène ?
Ah ah ! Le titre !
S’il est intrigant c’est parfait… Mais je m’égare. Donc, les présentations.
Rêvage est
une fée du printemps avec de grandes dents, des ambitions mégalomanes et un
désir de liberté (et de pouvoir) si fortement chevillé au corps qu’elle y
sacrifie tout. Absolument tout. Il faut dire qu’elle a connu des heures très
sombres du monde des fées, et cela lui a forgé un caractère en acier !
Philomène,
jeune, insolente est parfaitement amorale : elle ne voit le bien et le mal
nulle part. Cela donne des résultats parfois fort discutables. Cependant,
contrairement à Rêvage, elle reste capable de s’ouvrir aux autres. Elle est
égoïste, mais elle peut changer. Un de ses problèmes est qu’elle n’écoute que
sa propre intuition. Cela lui a beaucoup réussi mais elle va se rendre compte
que le système a ses limites et que, parfois, il faut faire confiance aux
autres.
L’une est machiavélique,
l’autre est armée d’un pistolet ensorcelé… C’est vrai qu’elles sont un peu
« différentes » de l’imagerie classique ! Pour moi, les fées
sont des créatures complexes, résultats de la sédimentation de mythes et de
folklore, de ré-écritures littéraires ou religieuses… Par exemple, ma lecture
du moment (Mythes Russes,
d’Elizabeth Warner) souligne comment la rusalka, créature des légendes slaves,
a évolué au fil du temps. Celle-ci a pu être présentée par des récits du XIXème
comme une divinité des eaux proche des nymphes, ou une sorte de sirène.
Pourtant, son origine la rattache plutôt aux fantômes.
Ce sont ces
« fées » qui m’intéressent : celles qui évoluent avec nous, dans
nos cultures, nos folklores et qui nous accompagnent depuis la nuit des temps,
dans les histoires que nous nous racontons pour expliquer les choses que nous
ne compren(i)ons pas, pour nous mettre en garde, pour nous faire réfléchir aux
conséquences de nos choix.
Ces fées ont autant de qualités et
de défauts que les humains, était-ce ta volonté ?
Oui, complètement. Dans ce
roman, les fées sont abordées comme des symboles. Le symbole d’une certaine
altérité, d’une façon d’envisager les choses différemment… Mais pour qu’un
symbole soit parlant, à mon sens, il lui faut des racines humaines. Il me
serait difficile de me retrouver dans les comportements d’êtres purement angéliques ou démoniaques. J’aurais donc du
mal à les écrire.
Ce qui m’a marqué dans ton roman,
c’est le système narratif, tu alternes un point de vue omniscient et au présent
à travers le personnage de Philomène, et un point de vue à la 3e
personne du singulier quand il s’agit de Rêvage. Je trouve cela très
respectable, et surtout, cela ne doit pas être facile à écrire. Comment as-tu
fait pour respecter ce schéma ? As-tu appliqué des techniques
spécifiques ?
J’avais envie de quelque
chose de relativement immersif, sans pour autant être emprisonnée dans les
« je » en permanence. C’est comme ça que la structure s’est mise en
place. Philomène a naturellement pris la parole pour nous entraîner au plus
près de l’action, pendant que Rêvage courait à droite et à gauche à la
recherche de sa reine, sans avoir trop le temps de papoter.
Pour suivre ce schéma,
j’avais la voix d’une copine d’atelier d’écriture dans la tête :
« Respectez la contrainte ! Respectez-la bon sang ! » Et c’était très efficace !
Les problèmes sont arrivés
quand les deux fils de l’histoire ont commencé à s’entremêler grâce à un
personnage qui va et vient entre les deux systèmes de narration. Là, il a fallu
appliquer la technique des time line pour respecter les emplois du temps des
uns et des autres – et parfois les décalages horaires. Je me suis fait un
tableau des actions pour suivre le déroulé dans le temps pas à pas. Une des
difficultés de ces allers-retours, c’est la construction des chapitres.
Parfois, j’ai fait le choix d’avoir des chapitres au déroulé parallèle, et non
pas en séquence, pour arriver à avoir des unités cohérentes. Par exemple, le
chapitre durant lequel Philomène et la troupe s’installent en forêt est
parallèle au corps à corps de Rêvage et d’un « mystérieux » personnage.
L’histoire se déroule en Angleterre
au XIXe siècle est ce que ce pays est propre à celui des fées ? Pourquoi
avoir choisi ce lieu ? et cette époque ?
Adolescente, je me suis
enflammée pour la littérature anglaise du XIXème. Les sœurs Brontë, Joseph
Conrad, Jane Austen, Oscar Wilde… Je crois qu’il y a une sorte de retour au
source dans ce premier roman : j’avais envie de me balader dans ces
souvenirs. L’époque, elle, est venue du pitch sur lequel l’histoire a
cristallisé : la plus grande souveraine du monde humain manque à l’appel
pour monter sur son trône. Les fées sont derrière tout ça. Sans doute à cause
de mes lectures, toujours, c’est l’image de Victoria qui s’est imposée à moi
pour représenter cette souveraine incontournable de l’Histoire mondiale.
L’Angleterre est-elle le pays
des fées ? Les créatures magiques courent sur toute la planète. Elles
changent de forme et de noms, mais remplissent le même rôle. On peut croiser
des fées à New York (Les petites fées de New York, de Martin Millar). A Paris
(Fées Weed et Guillotines de Karim Berrouka). En Arizona (L’épouse de bois)…
Pourtant, c’est vrai que ma sensibilité
me rapproche d’une vision de la fée « à l’anglaise », plus sombre et
tourmentée qu’une fée clochette, ou qu’une bonne fée de contes. C’est quelque chose
de purement personnel.
Tu n’es pas sans savoir que ton
roman a été présélectionné pour le Prix Littéraire de l’Imaginaire 2018. Ce
prix a pour but de mettre en avant les littératures de l’Imaginaire, un sujet
qui touche de plus en plus de lecteurs et auteurs de cet univers. Quelle est ta
position à ce sujet ?
Pour moi, l’imaginaire – et
donc les littératures associées – offre des pistes de réflexion
intarissables : symbolique, psychologique, social, éthique… L’imaginaire
permet de tout oser et de tout poser comme risques ou espoirs, de les disséquer
et d’en voir les conséquences. Et puis, l’imaginaire est partout : dans
les séries, les films, les jeux vidéos... la matière de Bretagne, les pièces de
Shakespeare, les romans de Jules Verne, les opéras de Wagner… Bref : l’imaginaire et sa littérature appartiennent
à la culture – qu’elle soit officielle, underground, pop ou autre. La
catégorisation des genres littéraires a tendance à en faire une sorte d’appendice
à prendre avec des pincettes… Donc je trouve juste géniales toutes les
initiatives qui visent à mieux faire connaître ces littératures de
l’imaginaire. Communiquer, montrer les choses, les expliquer aussi, prendre le
temps d’approfondir les démarches créatives… tout cela me semble nécessaire pour
faire évoluer la façon dont on perçoit l’imaginaire.
(Et je suis super ravie de
voir La fée, la pie et le printemps dans la sélection du PLIB2018 !)
De nombreux « nouveaux
auteurs » utilisent les plateformes comme WattPad ou fyctia, ou bien font
partie d’une communauté telle que celle de Cocyclics… as-tu utilisé également
ces outils d’écrivains ?
Je suis abonnée à Cocyclics
sur facebook, ainsi qu’à d’autres contenus orientés « pratique de
l’écriture », mais je ne me suis pas lancée dans le grand bain des
communautés internet ou des plate-formes de partage pour l’instant. Je
participe à des ateliers d’écriture « in real life ».
Es tu une grande lectrice ?
Quelles ont été tes plus belles découvertes en 2017 ?
Je suis une lectrice très
lente surtout ! Je sélectionne, je tourne autour des œuvres pendant des
mois. Quand je rentre dans un livre, je prends le temps de l’apprécier, de
m’arrêter, de respirer dans son univers… Cette année, j’ai découvert, quelques
millions d’années plus tard que tout le monde, Les fiancés de l’hiver, de
Christelle Dabos (oh, le bonheur!) et aussi Anasterry d’Isabelle Bauthian,
auquel j’ai furieusement accroché (trop hâte de lire la suite, Grish-Mère, qui
sort bientôt). Et j’ai enfin lu la plume d’Estelle Faye dans « Un éclat de givre ». Ce livre a une ambiance tellement prenante :
quelque chose de nostalgique, de tendre, d’onirique. Je suis sous le
charme !
Quelle coïncidence, j' ai aussi découvert la passe miroir en 2017, et je viens tout juste de commencer "un éclat de givre"! Quant à Anasterry, il est dans ma pile à lire :) Est ce que tu utilises tu les réseaux sociaux pour
échanger avec tes lecteurs ?
Je suis sur Facebook avec ma
page autrice (@ElisabethEboryAutrice) et sur Instagramm, @ElisabethEbory.
Pour terminer, dernière petite
question, quels sont tes projets littéraires ? Te verra-t-on dans des
salons en 2018 ?
En ce moment, je travaille
sur un deuxième roman dans l’univers de La Fée, la pie et le printemps. Le nœud
central de l’intrigue tourne autour de l’obsession et du pouvoir de
l’information. On mettra les pieds chez les fées, quelques temps après les
événements déclenchés par Rêvage.
Les dates restent à
confirmer, mais normalement, je devrais être en dédicace le 10 février sur
Toulouse à la librairie Série B, et au salon de l’Imagina’Livres, à la
faculté Toulouse II, Jean Jaurés, du 23 au 25 mars. Pour la suite, je ne sais
pas encore !
Je te remercie infiniment d’avoir
participé à cette interview, je te souhaite bonne chance pour le #PLIB2018
Un grand merci à toi !